A Nicodème, café associatif chaleureux du centre de Grenoble, la soupe de légumes maison coûte 1 euro, le plat du jour – un chili con carne – 1, 20 euro et le dessert, 80 centimes. Brahim, 66 ans, bonnet et visage doux, y rejoint de temps en temps des amis, « cela apaise la solitude » et il apprécie que « dans cette ville, les gens démunis ont toujours un endroit où manger ». Lui préfère cependant « se débrouiller », même si c’est de plus en plus difficile avec son loyer qui a augmenté de 40 euros et l’inflation à deux chiffres sur les produits alimentaires alors que, dans l’attente de sa retraite, il vit du revenu de solidarité active (RSA). Comme la plupart des personnes rencontrées ce jour-là, il ne souhaite pas préciser son nom de famille, ni être pris en photo. En revanche, il discute volontiers. De sa paisible voix de conteur, il dit sa colère contre les corrompus et son amour des artistes. « Coluche, il a laissé les Restos du cœur. Les politiques, ils font quoi pour le peuple ? »
Nicodème fait partie des quelque 6 000 associations, centres communaux d’action sociale et épiceries solidaires qui se fournissent auprès des banques alimentaires. Ces structures, qui proposent de la nourriture gratuitement ou à prix modiques, ont accueilli 2,4 millions de personnes en 2022, selon l’étude bisannuelle des banques alimentaires, rendue publique lundi 27 février. Ce nombre a triplé en dix ans et la hausse s’accélère : elle a atteint 10 % en 2022, soit autant que le cumul des deux années de crise sanitaire. « Plus de la moitié des personnes que nous accompagnons estiment que la hausse des prix est la première cause de la dégradation de leur situation financière, devant la perte d’emploi, la maladie, la séparation…, alerte la directrice fédérale des banques alimentaires, Laurence Champier. 67 % disent qu’ils ne pourraient pas se passer de l’aide alimentaire, en hausse de 15 points en deux ans. Et leurs profils sont de plus en plus variés. »
Comme Brahim, 94 % de personnes accompagnées par les banques alimentaires vivent en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 1 128 euros pour les personnes isolées. Comme lui, 41 % vivent seules, en hausse de 4 points en deux ans, et 42 % sont âgées de 51 à 69 ans (+ 3 points). A une table voisine, on rencontre Armine, ancien secrétaire-comptable de 71 ans. Du fait de sa petite pension et des prix qui grimpent, il est « à l’affût des bons endroits », tout en préférant « laisser les Restos du cœur à ceux qui ne peuvent pas payer ». Les retraités dont il fait partie représentent 17 % du public des banques alimentaires : c’est moins que les personnes au chômage (27 %), mais autant que celles en emploi. « Parmi ces dernières, la part de celles en CDI augmente, pour atteindre 60 % », souligne Laurence Champier.
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