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Amérique latine : Lutter contre la pauvreté, la corruption et l’insécurité

La défense des droits humains passe par les institutions démocratiques et l’état de droit

Le mot « démocratie », inscrit en grandes lettres blanches sur un pont piétonnier à São Paulo, au Brésil, et photographié le 26 octobre 2022. © AP Photo/Matias Delacroix 2022

(New York) – Les gouvernements des pays d’Amérique latine et des Caraïbes doivent prendre des mesures pour répondre aux préoccupations chroniques concernant la situation des droits humains, la pauvreté, les inégalités, la corruption, l’insécurité et les dégâts environnementaux, tout en protégeant la démocratie, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch dans son Rapport Mondial 2023. L’incapacité de longue date à faire face à ces questions a été exploitée par certains politiciens pour justifier des politiques qui restreignent ou enfreignent des droits, et a poussé des millions de personnes de la région à quitter leur foyer en quête de sécurité et d’opportunités dans d’autres pays.

En 2022, de nouveaux présidents ont été élus ou sont entrés en fonction au
Brésil, au Chili, en Colombie, au Costa Rica et au Honduras. Certaines élections se sont déroulées dans un contexte de violences politiques et de défi à l’indépendance des institutions électorales. Certains candidats proposaient de saper les garanties existantes en matière de droits humains et de démocratie. Neuf autres pays de la région, dont l’Argentine, le Salvador, le Guatemala, le Mexique et le Venezuela doivent organiser des élections en 2023 ou 2024.

« Certains politiciens ont souvent exploité des échecs passés dans la lutte contre la corruption, la violence et la pauvreté pour proposer des solutions simplistes, mais généralement abusives », a déclaré Tamara Taraciuk Broner, directrice par intérim de la division Amériques de Human Rights Watch. « Les dirigeants devraient montrer que la démocratie peut aboutir à des résultats, en s’engageant en faveur de la santé, de l’éducation, de la sécurité et d’autres droits fondamentaux tout en faisant respecter l’état de droit. »

Dans son Rapport mondial 2023, sa 33e édition qui compte 712 pages, Human Rights Watch passe en revue les pratiques en matière de droits dans près de 100 pays. Dans son essai introductif, la directrice exécutive par intérim Tirana Hassan explique que dans un monde où l’équilibre des pouvoirs a changé, il n'est plus possible de compter sur un petit groupe de gouvernements, principalement du Nord, pour défendre les droits humains. La mobilisation mondiale autour de la guerre menée par la Russie en Ukraine nous rappelle le potentiel extraordinaire lorsque les gouvernements s’acquittent de leurs obligations en matière de droits humains à l'échelle internationale. Il incombe à tous les pays, grands et petits, d'appliquer un cadre des droits humains à leurs politiques, puis de conjuguer leurs efforts pour protéger et promouvoir ces droits. 

En Amérique latine, près d’un tiers de la population vit dans la pauvreté, et plus d’un dixième dans l’extrême pauvreté. Plus de la moitié des revenus de la région vont aux 20 % des personnes les plus riches. Le racisme structurel est un grave problème. La pauvreté et les inégalités touchent de manière disproportionnée les femmes, les enfants et les personnes autochtones.

La déforestation et les incendies poussent la forêt amazonienne, rempart contre le changement climatique, vers le « point de bascule » à partir duquel elle ne pourra plus se régénérer, ont prévenu les scientifiques. Au Brésil, en 2021, la politique environnementale catastrophique de l’administration Bolsonaro a conduit au taux de déforestation le plus élevé des 15 dernières années. Au Venezuela, les mines clandestines provoquent de graves dégâts environnementaux et mettent en péril des communautés autochtones. La déforestation illégale effrénée dévaste la biodiversité de la région et les moyens de subsistance des personnes qui habitent dans la forêt et, combinée à l’extraction de combustibles fossiles, participe grandement aux émissions de gaz à effet de serre.

À Cuba, au Nicaragua et au Venezuela, des gouvernements répressifs bafouent outrageusement les droits des personnes qui font entendre une voix critique, afin de bâillonner toute opposition. Les dirigeants démocratiquement élus d’Amérique latine ont un rôle essentiel à jouer pour faire pression en faveur de la transition démocratique, notamment en appelant le gouvernement de Nicolás Maduro à négocier des conditions électorales acceptables ; en demandant au gouvernement de Daniel Ortega au Nicaragua de remettre en liberté plus de 200 prisonniers politiques, ou en enjoignant au gouvernement cubain d’abandonner les charges qui pèsent sur les personnes arbitrairement détenues.

Le niveau élevé de violence reste une source de préoccupation majeure. Avec 21 cas pour 100 000 personnes, l’Amérique latine et les Caraïbes présentent le taux régional d’homicides annuel le plus important au monde.

Au Salvador, les mesures de sécurité drastiques et le démantèlement rapide des institutions démocratiques de la part du gouvernement du président Nayib Bukele ont conduit à des violations généralisées des droits humains de la part des forces de sécurité.

Au Mexique, les crimes violents ont atteint un niveau historique sous l’administration du président Andrés Manuel López Obrador. Ce dernier a poursuivi la stratégie infructueuse de son prédécesseur en matière de militarisation de la sécurité publique, en remplaçant les policiers civils par des militaires et en supprimant le soutien de l’État aux procureurs civils. Les crimes font rarement, voire jamais, l’objet d’enquêtes ou de procès.

En Haïti, les gangs sont responsables d’une vague de meurtres, de kidnappings et de violences sexistes, dans un contexte de crise politique et humanitaire. Le système judiciaire fonctionne à peine. Une épidémie de choléra survenue en octobre avait, en date du 6 décembre, fait 283 morts et on dénombrait plus de 13 000 cas suspects.

L'Équateur a connu une considérable augmentation des homicides et de la violence des gangs. La surpopulation carcérale et le manque de contrôle de l’État dans les prisons ont permis à des personnes emprisonnées appartenant à des gangs d’y recruter de nouveaux membres et de tuer plus de 400 détenus depuis 2021.

Les dirigeants des pays d’Amérique latine devraient adopter des politiques de sécurité durables et respectueuses des droits, a déclaré Human Rights Watch. Une étape importante de ce travail consiste à focaliser les enquêtes criminelles sur les chefs de gangs et à prévenir les embrigadements en améliorant l’accès à l’éducation, au travail et à d’autres possibilités.

De nombreuses personnes sont sur les routes en Amérique latine, cherchant à échapper à la violence, à la répression et à la pauvreté. Parmi elles se trouvent plus de 7,1 millions de Vénézuéliens qui ont quitté leur pays depuis 2014, et des centaines de milliers de personnes fuyant chaque année l’Amérique centrale, le Mexique, Haïti, Cuba et d’autres pays.

Beaucoup se voient refuser la possibilité d’obtenir une protection ou rencontrent des obstacles lors de leur parcours, dont des restrictions en matière de visas ou des refoulements aux frontières. La situation est encore aggravée par le fait que l’administration Biden confie la mise en œuvre de ses politiques migratoires abusives à des gouvernements d’Amérique latine.

Les questions migratoires devraient être abordées de manière coordonnée dans la région, en mettant en œuvre les engagements de la Déclaration de Los Angeles en matière de migration et de protection, adoptée en juin, afin d’élargir l’accès à un statut légal et à l’intégration, a déclaré Human Rights Watch.

Des élections approchant dans divers pays de la région, notamment dans certains pays où le recul démocratique est évident, il est primordial de renforcer les piliers de la démocratie.

Au Pérou, l’ancien président Pedro Castillo a annoncé le 7 décembre la dissolution temporaire du Congrès et la « réorganisation » du système judiciaire, quelques heures avant que le Congrès se prononce sur une procédure de destitution à son encontre, à la suite de graves soupçons de corruption. Les institutions démocratiques ont rapidement rejeté ce qui était en réalité un coup d’État de la part de Pedro Castillo et le Congrès a approuvé sa révocation.

Au Guatemala, le président Alejandro Giammattei et le Bureau du procureur général ont entravé l’obligation de rendre des comptes en ce qui concerne des crimes comme la corruption, et ont facilité des procédures pénales fallacieuses à l’encontre de juges, de procureurs et de journalistes indépendants.

En Argentine, la rhétorique hostile des autorités envers les juges, les délais dans la nomination de juges et d’autres hauts responsables, ainsi que la corruption de la justice ont progressivement sapé l’état de droit.

En Bolivie, les administrations successives ont tiré profit d’un système judiciaire vulnérable aux ingérences afin d’engager des poursuites contre leurs opposants pour des motifs politiques. 

Les nouveaux gouvernements de la région auront fort à faire en 2023 :

Au Brésil, le président Luiz Inácio Lula da Silva est à la tête d’un pays en proie à une insécurité alimentaire croissante, à des pertes éducatives considérables liées à la pandémie et à une polarisation politique. Le nouveau président devra inverser les reculs en matière de droits humains causés par l’ancien président Jair Bolsonaro et restaurer la confiance de la population dans le système démocratique.

En Colombie, le président Gustavo Petro est entré en fonction en août, dans un contexte d’augmentation des violences commises par des groupes armés. D’autres inquiétudes majeures quant à la situation des droits humains concernent notamment les abus commis par la police et le haut niveau de pauvreté, en particulier parmi les communautés autochtones et de descendants d’Africains. 

Au Honduras, l’administration du président Xiomara Castro a suspendu certaines libertés fondamentales dans diverses régions du pays, prétendument afin de lutter contre la délinquance, ouvrant ainsi la porte à de possibles abus. Des mesures cruciales en suspens doivent être prises afin de renforcer l’état de droit, comme la création d’un mécanisme fondé sur le mérite pour le choix des juges siégeant à la Cour suprême et la mise en place d’une commission anticorruption internationale sous l’égide de l’ONU.

Au Chili, le président Gabriel Boric doit poursuivre la réforme de la police, protéger les migrants et les réfugiés et améliorer l’accès à l’avortement. En tant que membre du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le Chili doit mettre en avant sa politique étrangère fondée sur des principes et être le fer de lance d’une réponse régionale face aux abus de manière générale.

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