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Presse étrangère

Le Népal, l'équipe oubliée de la Coupe du monde au Qatar

Pour réussir à construire les stades et infrastructures du Mondial, le Qatar a recruté une large partie de sa main-d'oeuvre d'ouvriers au Népal, où le chantier de la Coupe du monde illustre le poids essentiel des travailleurs émigrés dans l'économie.

Les travailleurs népalais ont constitué une large partie de la main-d'oeuvre employée au Qatar pour la construction des stades de la Coupe du monde.
Les travailleurs népalais ont constitué une large partie de la main-d'oeuvre employée au Qatar pour la construction des stades de la Coupe du monde. (KARIM JAAFAR/AFP)

Par Pierre Demoux

Publié le 30 nov. 2022 à 07:20

Ils forment l'équipe oubliée de la Coupe du monde, celle sans qui la compétition n'aurait pu se tenir au Qatar. Pour construire les stades et les infrastructures nécessaires à la grand-messe du football, l'émirat s'est largement tourné vers les travailleurs étrangers, et en particulier ceux venus du Népal. Le petit Etat himalayen est celui qui a fourni le plus gros contingent de main-d'oeuvre comparé à sa population totale, raconte le « New York Times », qui est allé sur place décrire les rouages de cette armée de travailleurs anonymes, dont plusieurs milliers ont laissé leur vie au Qatar.

« Pays peu industrialisé, le Népal est doté d'une large population active, mais ne peut offrir de débouchés à une grande partie de ses citoyens, en particulier dans les campagnes », explique le quotidien new-yorkais. « Pris au piège entre la pauvreté, le désespoir et la nécessité, des centaines de milliers de personnes partent chaque année chercher du travail à l'étranger. »

Une ressource vitale pour l'économie népalaise

Le gouvernement estime ainsi que plus de 25 % de sa population a migré pour trouver un emploi depuis qu'il a commencé à collecter ces données en 1994. Et les fonds que ces expatriés envoient au pays constituent une ressource vitale pour l'économie locale, pesant un quart du PIB annuel.

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Sur la seule année écoulée, 650.000 Népalais ont quitté le pays avec un contrat de travail étranger. L'aéroport de Katmandou illustre l'importance vitale de cette filière, raconte le « New York Times » : il existe trois files d'attente, une pour les voyageurs népalais, une pour les étrangers et la troisième réservée aux « travailleurs migrants népalais », de loin la plus fréquentée. Dans les rues de la capitale, les panneaux d'affichage et les bus sont tapissés de publicités proposant des services de visa et de placement jusqu'au Canada, en Australie, au Japon et en Corée du Sud.

Ces emplois sont si précieux que même les organisations de défense des travailleurs migrants admettent qu'elles craignent parfois de pousser trop fort en faveur des réformes, qui pourraient défavoriser les Népalais sur le « marché » des travailleurs venant des pays pauvres voisins.

Un prix élevé à payer

De l'autre côté, le Qatar s'est montré particulièrement friand de cette main-d'oeuvre abondante et à bas coût durant la décennie écoulée afin d'achever le colossal chantier du Mondial. Avec l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, l'émirat figure dans le Top 3 des employeurs internationaux pour les Népalais, avec 185.000 ressortissants sur place entre juillet 2020 et 2021. « La relation entre les deux pays fournit l'exemple idéal de la rencontre entre l'ambition et la nécessité, qui a permis de bâtir cette Coupe du monde », souligne le journal américain.

Mais le Népal a payé un prix élevé pour participer à cette aventure. Selon les données recueillies par le ministère du Travail népalais, au moins 2.100 de ses travailleurs sont morts au Qatar depuis 2010, l'année où il a obtenu la Coupe du monde (un grand nombre sont également décédés ailleurs : 3.500 en Malaisie, 3.000 en Arabie saoudite…). Ils succombent à un large éventail de causes, crises cardiaques, problèmes de santé liés à la chaleur, et connaissent aussi un important taux de suicides.

Forte demande pour partir

Bishwa Raj Dawadi, médecin membre d'un comité qui examine les certificats de décès et les blessures des travailleurs migrants pour le ministère du Travail, a remarqué une autre tendance inquiétante : nombre de jeunes travailleurs souffrent d'insuffisance rénale après leur retour du Golfe. Mais des centaines de cercueils revenant au pays sont classés dans la catégorie des « morts naturelles », faute d'autopsies.

Malgré ces risques, le départ pour travailler à l'étranger représente un eldorado très demandé, en particulier dans les zones rurales. A tel point que les candidats à l'émigration doivent le plus souvent payer des frais d'engagement à des agences de recrutement pour espérer décrocher les emplois les plus convoités. Leurs montants s'élèvent jusqu'à 2.000 dollars, obligeant les familles pauvres à s'endetter à des taux prohibitifs de 30 % ou plus. Ce qui représente plusieurs mois de salaires à rembourser pour le futur émigré avant même son départ.

Le système est source de nombreux trafics et arnaques en amont, tandis qu'en aval, au Qatar, les employeurs détiennent le pouvoir sur ces travailleurs. Le pays a bien engagé des réformes, mais elles sont intervenues tardivement, note le « New York Times », et, surtout, de nombreux migrants ignorent l'existence de ces nouvelles protections. « La Coupe du monde a été entièrement construite sur le dos des travailleurs migrants, sur la base d'un rapport de force complètement inégal », estime Michael Page, directeur adjoint Moyen-Orient Afrique du Nord à Human Rights Watch. L'expérience du Mondial ne devrait toutefois pas tarir la source des Népalais désireux de s'expatrier pour pouvoir travailler…

Pierre Demoux

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