Il y a quelques semaines, Extinction Rebellion a créé la surprise. Au Royaume-Uni, le mouvement a pris la décision d’abandonner les blocages d'autoroutes et mains collés aux œuvres d'art. Une méthode de contestation jusqu'alors au cœur du collectif qui s’est construit autour d’actions de désobéissance civile spectaculaires. Mais, dépassé par des groupes militants plus radicaux et alors que le gouvernement britannique durcit le ton, le mouvement a choisi la voie du "rassemblement".  Cet article est le premier épisode d'une série consacrée à la désobéissance civile.
"We quit." ("Nous arrêtons.") C’est par ces deux mots, écrits en larges lettres blanches sur fond noir, que la branche britannique d’Extinction Rebellion (XR) a annoncé la nouvelle. Le 1er janvier 2023, le mouvement de désobéissance civile a dévoilé sur ses réseaux sociaux une "résolution controversée" : "abandonner temporairement la perturbation publique comme tactique principale."



Habitués à bloquer des lieux stratégiques, comme des grands axes urbains ou des centres commerciaux, en s’enchaînant ou se collant les mains au sol, les militants s’engagent en 2023 à ne plus perturber le quotidien des Britanniques mais plutôt à faire pression sur la classe politique. "Ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui, c’est de perturber l’abus de pouvoir (…) afin d’opérer une transition vers une société équitable qui travaille ensemble pour mettre fin à l’ère des combustibles fossiles", a déclaré le collectif dans un communiqué.


Quitter la "bulle militante"


En se détournant des actions de perturbation publique, Extinction Rebellion concentre ses efforts sur l’organisation de "the big one", un grand rassemblement programmé le 21 avril prochain. Les militants espèrent y réunir 100 000 personnes et en appellent à toutes et tous. XR change ainsi de priorité pour favoriser "la participation plutôt [que] l’arrestation et [les] relations plutôt [que les] barrages routiers." Une volonté de quitter une "bulle militante" pour rassembler, donc, mais aussi un moyen de répondre aux nombreuses réactions négatives engendrées par les actions de blocage organisées par le mouvement. 


"Nous avons écouté le public, il nous a dit à maintes reprises : nous soutenons ce que vous défendez, mais nous n’aimons pas la façon dont vous le faites", a éclaircie Marijn van de Geer, Coordinatrice média à Extinction Rebellion, interrogée le 4 janvier dans l’émission Good Morning Britain. Car c’est bien la question de la radicalité qui cristallise le débat autour du collectif, dont la décision a été commentée de toutes parts, et en particulier sur Twitter.
Si pour Donnachadh McCarthy, chroniqueur climat pour le quotidien britannique The Independant, "la perturbation n’a pas été suffisante pour obtenir un changement significatif de la part du gouvernement", François Gemenne, membre du GIEC, note un "changement de stratégie qui démarque [XR] d’autres groupes de militants radicaux.


Cadenas, colle et peinture : l’ADN de XR


Lancé en octobre 2018 au Royaume-Uni, avec le soutien d’universitaires et de chercheurs, Extinction Rebellion milite pour la reconnaissance de l’urgence écologique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’arrêt de la destruction des écosystèmes ou encore la création d’une assemblée citoyenne. Mais ce qui a permis au collectif de se différencier, ce sont ses modes d’actions, loin des méthodes classiques de contestation. "Les lettres, les mails, les marches ne fonctionnent pas. Il faut environ 400 personnes en prison. De deux à trois mille personnes à arrêter", déclarait en 2018 son cofondateur, Roger Hallam, au Guardian.
Il décide alors de se concentrer sur des mobilisations non violentes de désobéissance civile, prenant par exemple la forme de blocages d’axes clés, comme le fameux London bridge, de grandes entreprises ou de banques, généralement suivies de nombreuses arrestations. En avril 2019, XR coordonne la "première semaine internationale de la rébellion" où des actions sont menées dans plus de 30 pays. "Lorsque Extinction Rebellion a été lancé, il y a eu tout un mouvement dans la société qui a fait évoluer la perception de l’opinion sur la problématique climat", retrace pour Novethic Frank, ancien militant du collectif en France. 


Changements dans le paysage militant


Mais, ces derniers mois, le mouvement a dû partager la scène avec de nouveaux groupes, encore plus radicaux, tels que Insulate Britain ou Just Stop Oil, dont les actions frappantes ont régulièrement fait la une des médias. On se souvient particulièrement de la succession de jets de soupes de tomates sur des œuvres d’art (protégées). "Ils ont concentré l’essentiel de l’attention", souligne Frank. Une multiplication des actions directes dans l’espace publique, qui a conduit XR à remettre en question son positionnement.
"Maintenant que Just Stop Oil et Insulate Britain représentent le flanc le plus radical [du mouvement climat], nous sommes arrivés à cette décision : si nous voulons que tout le monde nous rejoigne et se sente en sécurité pour le faire, nous devons expérimenter [de nouvelles formes de mobilisation]", admet Marijn van de Geer. Autre élément déterminant : le durcissement de l’encadrement des manifestations par le gouvernement britannique, avec de nouvelles infractions pouvant aller jusqu’à plusieurs mois d’emprisonnement.


Un contexte complexe dans lequel Extinction Rebellion a dû repenser sa stratégie pour gagner en visibilité, tout en fédérant un public peu enclin aux perturbations publiques. Moins que la désobéissance civile, c’est donc plutôt de la radicalité que le mouvement semble s’éloigner, avec un objectif principal : massifier pour "démontr[er] que les crises climatique et écologique sont des préoccupations partagées par de larges pans de l’opinion publique [et rendre] difficile pour le gouvernement de rejeter l’appel au changement."
Un pari gagnant ? Oui, veut croire Extinction Rebellion qui, à l’occasion de sa première action de l’année contre l’ouverture d’une nouvelle mine de charbon dans la région de Cumbria, assure avoir déjà commencé à recruter de nouveaux rebelles.
Florine Morestin
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