► Dans le monde protestant, qu’appelle-t-on « réveil » ?

La notion de « réveil » (Awakening) est d’abord située historiquement : elle qualifie des périodes de redynamisation de la foi dans le monde protestant. Le premier Grand Réveil se déroule entre 1730 et 1740 en Nouvelle-Angleterre dans ce qui était à l’époque les colonies britanniques et deviendra les États-Unis d’Amérique, sous l’impulsion de prédicateurs tels que Jonathan Edwards (1703-1758). Celui-ci traverse l’Atlantique grâce à John Wesley, qui est à l’origine du réveil méthodiste en Angleterre à partir de 1738.

D’autres épisodes de réveil ont suivi. On appelle deuxième Grand Réveil la revitalisation des paroisses protestantes américaines entre 1790 et 1840, et on trouve le troisième Réveil au tournant du XXe siècle, toujours principalement dans l’univers protestant anglo-saxon, sans exclure des phénomènes de réveil en Suisse et en France, ou dans les pays scandinaves à la même période.

Pour l’historien et sociologue des religions Jean Baubérot (1) , les réveils visent à raviver la foi dans deux directions : celle des fidèles dont celle-ci s’affadit avec le temps et celle des milieux plus ou moins déchristianisés. Le réveil est donc un moment qui enthousiasme la communauté en lui faisant sentir la présence agissante de Dieu. Prière et prédication sont les deux moyens clés qui y contribuent. Au centre de ce phénomène, l’expérience du Salut par Jésus-Christ que dit avoir faite le croyant réveillé.

Jean Baubérot trouve l’origine du réveil dans la lutte contre l’esprit des Lumières et le mouvement de sécularisation de la société. Il s’agit de combattre « le manque de ferveur et les tendances rationalisantes » des Églises. La prédication est ouverte à tous ; les distinctions « raciales, sociales et de genre sont relativisées », précise-t-il.

► Quels sont les fruits d’un réveil ?

Pour Sébastien Fath, historien spécialiste du protestantisme évangélique, le réveil se caractérise par trois dimensions : l’aspect individuel de la remobilisation militante, la dimension ecclésiale avec la relativisation – voire dans certains cas la disparition – de toute forme de clergé, et enfin l’impact sociétal et caritatif.

Sur ce plan, le réveil se traduit tant par la création d’œuvres dans les secteurs traditionnels d’engagement chrétien (santé, éducation, etc.), que par celle d’aumôneries de prison ou la célèbre Armée du salut, fondée en 1865… Le pasteur britannique William Wilberforce, lui, dira au début du XIXe siècle : « Dieu m’a confié deux tâches : faire abolir la traite des Noirs et réformer les mœurs. »

Si la finalité d’un réveil n’est pas de fonder une nouvelle Église, on constate toutefois dans l’histoire que ces épisodes ont débouché sur de nouvelles réalités ecclésiales. C’est ainsi que les Églises méthodistes sont nées du réveil lancé par John Wesley au sein de l’anglicanisme.

De la même manière, le mouvement pentecôtiste, qui se développe au début du XXe siècle, a donné lieu à une floraison de paroisses nouvelles, que le sociologue Yannick Fer reconnaît comme pentecôtistes (2). Dans ce cas, l’intention n’est pas de fonder une Église, mais de garder intacte, à distance de toute lourdeur institutionnelle, l’intuition première que le Christ agit aujourd’hui de la même manière qu’au moment de sa vie terrestre.

► Le mouvement du réveil touche-t-il l’Église catholique ?

L’Église catholique a elle-même été traversée par ce courant, comme le montre la genèse du Renouveau charismatique. En 1967, à l’université Duquesne de Pittsburgh (Pennsylvanie), puis dans d’autres universités américaines, des catholiques en contact avec des pentecôtistes vont vivre une expérience semblable d’« effusion de l’Esprit Saint » qui donnera lieu à des groupes de prière et inspirera les futurs fondateurs de communautés charismatiques françaises.

« Dans la mesure où le Renouveau a permis en même temps de revitaliser la foi des fidèles et de réveiller les communautés pour qu’elles soient plus vivantes et plus missionnaires, on peut dire qu’il procède d’une logique de réveil, analyse Marie-Jo Guichenuy, déléguée épiscopale à l’œcuménisme du diocèse de Lyon. Cela marque durablement notre Église catholique, car les groupes de prière sont aujourd’hui installés dans le paysage. »

Benjamin Pouzin, cofondateur du groupe Glorious, estime que « le grand moment du réveil catholique, c’est le concile Vatican II, selon la formule du pape Jean XXIII qui le qualifie de nouvelle Pentecôte ». En ce sens, le rapport entre le mouvement du réveil dans les Églises protestantes et l’évolution de l’Église catholique n’est qu’analogique. Lui qui, avec Glorious, sillonne la France depuis des années précise son propos : « Le réveil protestant est un mouvement qui se passe de l’institution ecclésiale ; dans le “réveil catholique”, il ne s’agit pas tant de se libérer des institutions que d’en finir avec un catholicisme tranquille où on consomme de la religion. »

► Peut-on parler de réveil aujourd’hui en France ?

La presse et les réseaux sociaux se sont fait écho d’un moment de réveil à Asbury, dans le Kentucky (États-Unis) où près de 50 000 étudiants se sont relayés pendant dix jours pour prier de manière ininterrompue, recevant des grâces de conversion et de guérison.

« À ma connaissance, il n’y a pas de phénomène équivalent en France, analyse Daniel Thévenet, président de l’Union des Églises évangéliques du Réveil, qui regroupe des paroisses pentecôtistes de France, Suisse, Belgique et Côte d’Ivoire. Ce n’est pas propre aux protestants. Il y a des milieux catholiques qui ont soif de Dieu et cette soif est un terrain propice à l’action de l’Esprit Saint. » S’attendant à ce que cela se passe en France, ce pasteur pentecôtiste conclut : « Je prie pour cela. »

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John Wesley, le troisième grand réformateur

Pasteur anglican, John Wesley (1703-1791) est à l’origine du réveil de son Église, à la piété trop formelle à son goût. Connu pour être le père des Églises méthodistes, à la fois mystique et homme d’action, il met en place des petits groupes de croyants chargés de vivre d’une foi fervente. Il s’agit d’enseigner que le Salut est offert à tous. « Aujourd’hui, toutes les Églises sont méthodistes », concède, amusé, un pasteur réformé, en notant la double correspondance actuelle des Églises protestantes françaises avec la pensée de John Wesley : la dimension spirituelle de la foi et l’organisation de la mission.

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Réveiller la foi et l’Église

Toutes les confessions chrétiennes ont connu des moments de réveil, sous l’impulsion de saints, de fondateurs ou de prédicateurs.

Le Réveil est un élan, non une doctrine. Sa caractéristique centrale est d’« insuffler dans une piété trop formelle, sans saveur ni chaleur, une foi vivante et missionnaire », selon Laurent Gambarotto, pasteur historien.

Réveillé dans la foi, le fidèle a l’impression de renaître, d’où le terme parfois employé de « revivalisme ».

Les Églises pentecôtistes sont héritières de ce mouvement. Elles s’en différencient par leur aspect non institutionnel. Le Renouveau charismatique procède lui aussi de ce mouvement.

(1) Histoire du protestantisme, Jean Baubérot, PUF, 126 p.

(2) Sociologie du pentecôtisme, Yannick Fer, Karthala, 224 p.