Le pape François se rend mardi 31 janvier en République démocratique du Congo (RDC), pays d’Afrique centrale où environ 40 % de la population est catholique. Jason Stearns, directeur du Groupe d’étude sur le Congo décrit le rôle central historiquement tenu par l’Eglise, y compris dans l’espace politique, à quelques mois de l’élection présidentielle prévue dans le pays fin décembre.
Que peut-on attendre de la visite du pape François en République démocratique du Congo ?
Symboliquement, c’est très important. Il va certainement parler de la misère du peuple congolais, de la guerre et de la démocratie en RDC à l’émergence de laquelle l’Eglise a beaucoup contribué. Mais exprimera-t-il une demande spécifique ou une dénonciation particulière ? Probablement pas. Concernant le processus électoral en RDC, je ne m’attends à rien d’autre qu’un appel au respect de la transparence.
La situation actuelle est très différente de celle qui prévalait avant la présidentielle de 2018. A l’époque, une crise démocratique pointait à l’horizon : le régime [celui du président Joseph Kabila] ne voulait pas céder le pouvoir et était prêt à saper la fondation de la démocratie. L’Eglise s’est mobilisée dans la rue, au niveau diplomatique et politique pour faciliter la médiation entre l’opposition et le pouvoir. Elle a joué un rôle clé pour empêcher Joseph Kabila de changer la Constitution.
Cette année, le président Félix Tshisekedi vise un deuxième mandat et la Constitution l’y autorise. Le grand combat se déroulera au niveau des opérations de vote et du dépouillement. En 2018, l’Eglise catholique avait déployé la plus grande mission d’observation électorale de RDC. Ce sera probablement la même chose cette fois-ci. Elle va également faire pression sur la commission électorale, la CENI, pour qu’elle tienne ses promesses notamment l’affichage des résultats bureau de vote par bureau de vote.
Qu’en est-il de la place de l’Eglise catholique dans la vie publique, hors processus électoral ?
Elle a été l’un des acteurs clé de l’émergence de la démocratie en RDC : lors de l’indépendance en 1960, puis face à Mobutu [1965-1997], pendant l’ouverture démocratique des années 1990 et finalement dans le processus démocratique à partir de la création de la troisième République en 2006. Inspirée par la théologie de la libération venue d’Amérique latine, l’Eglise appelle les fidèles à s’impliquer.
En RDC, la politique fait souffrir les gens. Le pays, qui est le premier producteur de cobalt au monde, le plus grand producteur de cuivre en Afrique, est mal gouverné. Ce n’est pas un secret : il est dominé, depuis l’indépendance, par une mince élite qui sert ses propres intérêts sans se soucier du bien-être de la population. C’est pour cette raison que l’Eglise participe à la vie politique, parfois, contre l’avis des dirigeants. Joseph Kabila l’avait exprimé explicitement en disant qu’« il n’appartient pas à l’Eglise de se mêler de politique ».
Est-ce que l’Eglise catholique peut jouer un rôle dans la résolution de la crise à l’est du pays ?
L’Eglise fait beaucoup de déclarations sur le sujet mais mobilise peu, à l’exception de quelques marches ou conférences pour la paix. L’Etat congolais a une grande responsabilité dans la guerre à l’Est. Comment comprendre qu’une armée de plus de 130 000 hommes n’arrive pas à démanteler des groupes armés qui ne dépassent pas quelques milliers de soldats ?
On parle beaucoup du M23, mais il y a environ 120 groupes armés à l’est de la RDC. Par apathie, complaisance ou collusion directe, l’Etat congolais entretient avec certains d’entre eux une forme de complicité. Je ne pense pas que l’Eglise se projette comme médiatrice dans le conflit.
L’Eglise dispose d’un immense patrimoine, immobilier notamment. Est-ce que cela ne la rend pas dépendante de l’Etat et limite son action ?
Dès la création du Congo belge, l’Eglise a été le partenaire principal de l’Etat colonial, surtout dans le domaine de l’éducation et de la santé. Cet héritage est visible : aujourd’hui encore, l’Etat sous-traite une partie de l’éducation et de la santé à l’Eglise catholique. Celle-ci reste l’un des principaux propriétaires terriens de RDC et elle fournit beaucoup de services à la population.
Si elle plaide pour le bien-être de la population, l’Eglise a donc aussi des intérêts à défendre. Par exemple, quand Félix Tshisekedi a décidé d’instaurer la gratuité de l’école primaire en RDC, il est entré en conflit avec l’Eglise catholique parce que cela posait des problèmes financiers à l’institution.
Est-ce que la montée des Eglises protestantes, pentecôtistes ou évangéliques et protestantes menace la position centrale de l’Eglise catholique ?
C’est un défi pour l’Eglise. C’est d’ailleurs pour y répondre qu’on assiste au développement des mouvements charismatiques catholiques, plus proches des fidèles [que les structures traditionnelles]. Mais la plus-value de l’Eglise catholique, c’est son implication dans la gestion des affaires publiques. Pas mal de Congolais reprochent aux autres obédiences de cantonner la religion au domaine privé, d’ignorer la gestion de l’Etat et de s’enrichir.
Peut-on s’attendre à ce que l’Eglise catholique soutienne un candidat en particulier ?
Le docteur Denis Mukwege, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2018, l’espère sans doute. Très populaire en RDC, il est lui-même pasteur dans une église protestante proche des catholiques et perçu comme quelqu’un qui n’a pas trempé dans la politique. Mais il n’a pas de parti. S’il se prononce, comment pourra-t-il mener une campagne électorale ?
Et puis, la RDC est un régime semi-présidentiel, c’est-à-dire que le gouvernement est issu de la plus grande coalition de l’Assemblée nationale. Sans parti, pas de majorité au Parlement. Les proches de Denis Mukwege disent qu’il compte sur l’Eglise, sur les Eglises, pour mobiliser des électeurs potentiels et convaincre différentes formations politiques de le soutenir. Tout cela est assez hypothétique.
Il est très compliqué pour l’Eglise de se prononcer en faveur de tel ou tel candidat, mais officieusement, ses réseaux pourraient jouer un rôle clé dans la campagne de certains. Cependant, l’institution n’est pas gérée par une seule personne mais par la Conférence épiscopale au sein de laquelle il y a beaucoup de divisions. Divisions sur lesquelles le pouvoir joue pour affaiblir l’Eglise. Et cela ne pas s’arrêter compte tenu des échéances électorales.
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