Qu’est-ce que la théologie de la prospérité ?

La théologie de la prospérité est née aux États-Unis dans les années 1960 dans le mouvement protestant du pentecôtisme. Elle a gagné l’Amérique latine et l’Afrique dans les années 1970 pour ensuite se diffuser en Asie. Aujourd’hui, elle se décline en de multiples variantes. Quel est son message essentiel ? Celui qui met sa foi dans le Christ sera non seulement sauvé, mais il récoltera ici-bas richesse matérielle, santé et succès.

Pour appuyer leur propos, les adeptes de cette théologie utilisent de nombreuses citations bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testament. Parmi celles-ci, deux sont souvent citées. La première émane du prophète Malachie (3,10) : « Apportez toute la dîme à la maison du trésor, pour qu’il y ait de la nourriture dans ma Maison. Soumettez-moi donc ainsi à l’épreuve, – dit le Seigneur de l’univers –, et vous verrez si je n’ouvre pas pour vous les écluses du ciel si je ne répands pas sur vous la bénédiction en abondance ! »

La seconde est tirée de l’Évangile de Marc (10, 29-30), lorsque Jésus affirme : « Nul n’aura des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres… » En omettant, comme souvent, de mentionner la fin du verset qui évoque aussi des « persécutions »

Quelle forme prend-elle ?

L’historien et chercheur au CNRS Sébastien Fath a identifié à ce jour sept « variantes » de la théologie de la prospérité. La première repose sur le principe de réciprocité, instauré par Jésus : « Donnez, et l’on vous donnera » (Luc 6,38). La seconde insiste sur l’observance des commandements divins : « Vous garderez les paroles de cette alliance, et vous les mettrez en pratique pour réussir dans toutes vos actions » (Deutéronome 29,8).

La troisième relève d’une dimension « magico-religieuse ». Si, par la foi, on reçoit l’onction de Dieu, on est protégé : « Ne touchez pas à qui m’est consacré » (psaume 104, 15). La quatrième variante attribue un pouvoir à la parole qui est prononcée avec foi, elle prend alors une force créatrice qui fait advenir ce qu’elle énonce : « La mort et la vie sont au pouvoir de la langue » (Proverbes 18, 21).

La cinquième répond à un certain clientélisme. Autrement dit, le fidèle qui se soumet à l’autorité de son pasteur – « Faites confiance à ceux qui vous dirigent et soyez-leur soumis », dit Paul aux Hébreux (13, 17) – bénéficiera, en retour de faveurs divines… La sixième variante relève davantage du développement personnel. « Grâce à la foi, rappelle Sébastien Fath, je vais pouvoir devenir une meilleure version de moi-même. » Cette croyance s’appuie sur la parole de Jésus dans l’Évangile de Jean (10,10) : « Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »

La septième et dernière variante consiste en un « transfert des richesses ». Elle fait florès en Afrique et s’enracine dans la lecture du livre de l’Exode, souligne Sébastien Fath. Comme le peuple juif sous le règne de Pharaon, les Africains ont vécu sous le joug des colonisateurs qui les ont opprimés et exploités. Dieu vient aujourd’hui libérer son peuple, le restaurer et lui restituer les biens dont il a été injustement privé.

En Asie, enfin, notamment en Corée du Sud et en Chine, la théologie de la prospérité repose sur la valeur travail, qui devient une forme de prière et de vocation. « Comme j’honore Dieu par mon travail en étant un employé ou un entrepreneur honnête, discipliné et productif, je reçois, en récompense, le fruit de mon travail », résume Sébastien Fath.

Est-ce fidèle à ce que dit la Bible ?

La théologie du Pentateuque (du livre de la Genèse à celui du Lévitique) comporte bien une notion de rétribution. « Si vous écoutez ma voix, dit en substance Dieu aux patriarches, et que vous accomplissez mes commandements, alors vous recevrez mes bénédictions et une récompense notamment sur le plan matériel, détaille Philippe Haddad, rabbin de la synagogue de la rue Copernic à Paris. Mais avec les prophètes, on sort de cette logique. Ils dénoncent la richesse mal acquise et son utilisation à mauvais escient, ainsi que l’écart croissant entre les riches et les pauvres. Le riche, disent-ils, a une responsabilité vis-à-vis de la veuve et de l’orphelin. Ne pas partager ses richesses, c’est profaner le nom de Dieu. »

Jésus s’inscrit dans cette lignée prophétique en faisant du soin porté aux plus démunis (pauvre, étranger, malade, prisonnier en Matthieu 25) le critère même du jugement divin. Et il va même plus loin encore. « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi », dit-il au jeune homme riche (Matthieu 19,21). Par un grand renversement, devient riche celui qui suit le Christ, pauvre parmi les pauvres.

Pourquoi les chrétiens évangéliques prennent-ils de la distance avec ces théologies ?

« Bien sûr, parler de prospérité est un discours séduisant, qui peut attirer de nouveaux fidèles, confie le pasteur pentecôtiste Marc Rizzolio au journal Réforme (1). Mais il me semble que l’idée de donnant-donnant sur laquelle il repose peut insinuer dans les cœurs une mauvaise compréhension de l’Évangile. Le chrétien ne doit pas s’attacher à Dieu parce que Dieu va le faire prospérer, mais parce qu’il lui offre son amour, son salut révélé dans la personne de Jésus-Christ. »

Malicieux, Sébastien Fath ajoute une raison plus pratique : « Quand les chrétiens donnent beaucoup à la quête en espérant abondance de biens en retour, comme le promet leur pasteur, et qu’ils ne voient rien venir, ils quittent l’église ! »

L’appétit pour la théologie de la prospérité interroge le croyant. « À quelqu’un de tenté par la théologie de la prospérité, dit le pasteur baptiste Nicolas Farelly (2), je pourrais suggérer ceci : qu’est-ce que cette recherche du succès, de la richesse, dit de votre foi, de votre confiance en Jésus ? Jésus ne serait-il qu’un moyen pour parvenir à vos fins ? (…) Même si je ne sais pas si ma situation va s’améliorer, la présence du Christ est là, qui me rassure ; grâce à elle, je peux être en joie même dans l’épreuve, car je sais que Dieu œuvre en moi. »

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Extrait. Un langage décomplexé sur l’argent

La Théologie de la prospérité, Conseil national des évangéliques de France, octobre 2012

Ce courant (la théologie de la prospérité, NDLR) correspond aux aspirations matérialistes d’une frange du christianisme occidental, qui y trouve enfin un langage « décomplexé » sur l’argent. Il rejoint aussi, par les espoirs qu’il suscite, bien des populations dont la réalité quotidienne est la souffrance et la misère. Son invitation à positiver l’avenir répond au désarroi d’un nombre croissant de personnes insécurisées par une mondialisation impitoyable. (…) (Par leurs interprétations bibliques), les prophètes de la prospérité se mettent à l’abri de toute remise en cause de leurs promesses. Par contre, tout le poids de l’échec éventuel de ces promesses repose sur le croyant qui a espéré, prié, donné. Impossible, dans le système, de remettre en cause les promesses de départ. On renvoie celui qui n’a « pas reçu » à son manque de foi, dont on décèlera les moindres failles.

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ce qu’il faut retenir

Une théologie pentecôtiste

La théologie de la prospérité est née dans les Églises pentecôtistes des États-Unis dans les années 1960 et s’est répandue sur tous les continents.

En s’appuyant sur de multiples citations bibliques, parfois tronquées ou sorties de leur contexte, les adeptes de cette théologie affirment que, si la foi en Dieu est assez forte, alors celui-ci comble son fidèle de bienfaits : le salut mais aussi la richesse, la santé, le bonheur.

Cette vision s’oppose au message biblique dans lequel Dieu met en garde l’homme et la femme contre l’idolâtrie de la richesse pour les inviter à la sobriété et au partage.

(1) Du 9 décembre 2020.

(2) Ibid.