Photo fournie par le Ministère émirati des Affaires présidentielles le 28 novembre 2022 du ministre de l'Inductrie et chef de la compagnie pétrolière nationale ADNOC, Sultan Ahmed al-Jaber, désigné le 12 janvier 2023 président de la COP28 prévue aux Emirats

Photo fournie par le ministère émirati des Affaires présidentielles le 28 novembre 2022 du ministre de l'Inductrie et chef de la compagnie pétrolière nationale ADNOC, Sultan Ahmed al-Jaber, désigné le 12 janvier 2023 président de la COP28 prévue aux Emirats

afp.com/Rashed AL-MANSOORI

La nomination de Sultan Ahmed al-Jaber, PDG de la première compagnie pétrolière des Emirats arabes unis (EAU), à la tête de la COP28 ne semble pas faire consensus. En plus d’être à la tête de l’ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company) et de Masdar une entreprise spécialisée dans les énergies renouvelables, Sultan al-Jaber est ministre de l’Industrie et envoyé spécial pour le changement climatique. Selon un communiqué publié ce jeudi 12 janvier par l’agence de presse officielle WAM, il sera le premier PDG à présider une conférence de l'ONU pour le climat. Organisée à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre, la COP établira le premier bilan mondial de l’évolution et la mise en œuvre de l’Accord de Paris. Mais la désignation de Sultan Ahmed al-Jaber fait grincer les dents de nombreux experts du climat.

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Car malgré son engagement important dans la lutte contre le réchauffement climatique ces dernières années - il dirigeait déjà la délégation émiratie lors des deux précédentes COP, dont une délégation d’un millier de participants - de nombreux spécialistes dénoncent "un conflit d’intérêts scandaleux" comme Tasneem Essop, la directrice de l’organisation Climate Action Network International. "Ahmed al-Jaber ne peut pas présider une organisation chargée de la lutte contre la crise climatique alors qu’il est responsable d’une industrie elle-même responsable de la crise", considère-t-elle. Interrogé par L’Express, le politologue François Gemenne, coauteur du rapport du GIEC et auteur de L’écologie n’est pas un consensus (Editions Fayard, 2022) estime que le nouveau président devrait même "démissionner pour éviter tout conflit d’intérêts." Parmi les autres risques qui entourent une telle nomination, celui du greenwashing et du retardement des négociations. Car "le meilleur moyen de faire ralentir ou capoter les discussions sur le climat est d’organiser la conférence soi-même", selon François Gemenne.

Principal exportateur de pétrole

À l’heure où l’objectif est de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius, d’autres experts comme Rachel Kyte, professeure de développement durable et doyenne de la Fletcher School de l’université de Tufts aux Etats-Unis, estiment qu’on ne peut plus se permettre de "développer les énergies fossiles". Le pays du Golfe, qui figure parmi les principaux exportateurs de pétrole au monde, plaide pour une sortie progressive des hydrocarbures. Il estime cependant à plus de 600 milliards de dollars par an les investissements nécessaires dans l’industrie pétrolière et gazière d’ici 2030, pour répondre à la demande.

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Les Emirats ont envoyé le plus grand contingent de lobbyistes de l’industrie à la COP27 organisée en novembre en Egypte. Une édition qui a permis l’adoption d’une résolution sur l’indemnisation des pays les plus pauvres pour les dégâts causés par le changement climatique. Mais elle n’a pas réussi à faire accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour maintenir l’objectif de limiter le réchauffement de la planète. Et la question d’une moindre utilisation des énergies fossiles a été à peine mentionnée dans les textes.

"On ne peut pas organiser des COP qu’entre pays vertueux"

Pour la présidence de la COP28, l’enjeu sera donc de réussir à rassembler les différents pays autour d’une action plus stricte et efficace "tout en suggérant à certains d’arrêter de produire sous prétexte que la production des EAU suffit, commente l’universitaire Rachel Kyte. Mais nous n’avons plus le temps pour les messages contradictoires" de Sultan Ahmed al-Jaber, qui assure toutefois que les EAU apporteront "une approche pragmatique, réaliste et axée sur les solutions". Allant même jusqu’à admettre que "l’action climatique est une immense opportunité économique d’investissement dans la croissance durable. Le financement est la clé."

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Le spécialiste des questions environnementales et climatiques, François Gemenne, a quant à lui un point de vue plus nuancé sur cette nomination. "Bien qu’elle puisse paraître risible voire choquante, elle peut être utile. On ne peut pas organiser des COP qu’entre pays vertueux, il est indispensable de convoquer les pays producteurs d’énergies fossiles à la table des négociations pour faire avancer les choses plus rapidement", juge-t-il. Dernier élément à prendre en compte : si l’influence d’al-Jaber en tant que président de la COP28 sera non négligeable, seuls les 195 pays de la conférence pourront, ensemble, prendre une décision.

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