Visibles partout, ils agissent comme une armée souterraine. Le climatologue Christophe Cassou (CNRS) les a vus débarquer au cours de l’année 2022. En réponse à ses messages pédagogiques sur X (anciennement Twitter), il découvre, pêle-mêle, des mots ironiques sur la météo, des graphiques sortis de leur contexte, des insultes aussi. La plupart du temps, ses contempteurs sont anonymes. Tous remettent en cause la réalité du réchauffement climatique ou la responsabilité des activités humaines.
Peu à peu, ces trolls se sont glissés jusqu’à sa boîte e-mail professionnelle, y postant parfois des montages de son visage alors qu’il venait de subir une opération chirurgicale, le comparant à un alcoolique, insinuant qu’il avait bien fait de se faire tabasser… « Tous mes posts étaient assaillis, pollués, manipulés, avec un détournement de ma parole, résume-t-il. Le rôle d’un scientifique est d’informer, pas de lutter contre la désinformation. » Fatigué, il a arrêté son activité en ligne à l’été 2023. « C’est le tonneau des Danaïdes, les trolls attirent les trolls. Alors, quand les attaques ad hominem se sont généralisées et ont commencé à déborder sur ma vie, j’ai dit stop. »
Ce climatologue réputé n’est pas seul. Depuis le printemps 2022, les spécialistes du climat subissent des vagues d’attaques sur les réseaux sociaux. Un déferlement très lié à l’actualité. A chaque épisode caniculaire, à chaque vague de froid, à chaque publication d’une étude ou d’un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), des centaines de commentaires rageurs surgissent.
Guillaume Séchet, météorologiste et créateur de Meteo-villes.com, a été traité de « clown », « d’abruti ». Il n’a pas non plus oublié les jeux de mots sur son nom. Mais il a d’abord essayé d’échanger. « Au début, je prenais le temps de répondre en étant dans une logique de transparence. C’était peine perdue, ils ont un comportement moutonnier et paranoïaque car ils voient de la manipulation partout. Les gens qui ont des doutes posent des questions et sont courtois. Chez eux, il n’y a que de la méchanceté. » Depuis, il filtre. « Je fais le ménage et je bloque à la chaîne. Car un commentaire en attire d’autres, c’est comme de la mauvaise herbe… Ça me blesse, on ne prend jamais l’habitude de se prendre des claques. »
Des « dénialistes » qui « nient la science »
Les études confirment l’impression des climatologues. Dans une enquête publiée en février 2022, plusieurs chercheurs, dont le mathématicien David Chavalarias, de l’Institut des systèmes complexes, ont constaté que la fin de la crise liée au Covid-19 a poussé des milliers de profils complotistes à choisir de nouveaux sujets de paranoïa, avec maintenant « environ 30 % de climatosceptiques parmi les comptes Twitter évoquant les questions climatiques ».
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