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Au profit de la GPA, allons-nous faire accoucher des femmes mortes ?

«La gestation est un processus "à la fois biologique et biographique", il n'est pas détachable de celle qui le vit, ce n'est pas un don.»
«La gestation est un processus "à la fois biologique et biographique", il n'est pas détachable de celle qui le vit, ce n'est pas un don.» AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Les coprésidentes de la «Coalition internationale pour l'abolition de la GPA» réagissent à l'article d'une chercheuse en philosophie, Anna Smajdor, qui propose de mettre en place des «dons gestationnels de corps entier». Elles dénoncent une atteinte grave à la dignité humaine.

Ana-Luana Stoicea-Deram est sociologue et, avec Marie-Josèphe Devillers, co-présidente de la «Coalition internationale pour l'abolition de la GPA» (CIAMS).


Dans son article «Whole-body gestational donation» («Don gestationnel de corps entier»), la chercheuse en philosophie Anna Smajdor, de l'université d'Oslo, propose d'utiliser comme mères porteuses des femmes en état de mort cérébrale. Etonnée de constater qu'aucune juridiction n'a envisagé de mettre en application la proposition faite déjà en 2000 par une autre chercheuse, d'utiliser ainsi les femmes en état végétatif persistant, Smajdor la reprend et l'élargit pour apporter une solution aux problèmes moraux et légaux posés par la GPA. Selon elle, les États et les systèmes de santé devraient adapter leurs politiques et procédures, afin de permettre le «don gestationnel de corps entier» comme une option de don parmi d'autres.

À partir du constat qu'«il n'y a pas de raison médicale évidente pour laquelle il ne serait pas possible d'initier de telles grossesses», Smajdor considère qu'il est préférable d'utiliser comme mère porteuse des femmes en état de mort cérébrale, plutôt qu'en état végétatif persistant, car la mort cérébrale est irréversible, et que le don d'organes est déjà pratiqué sur des personnes en cet état. Elle propose aussi que le «don gestationnel de corps entier» soit accessible à toute personne qui veut «éviter les risques et les contraintes liés à la gestation d'un fœtus dans son propre corps» ; et pour augmenter le nombre de donneurs potentiels, que les hommes en état de mort cérébrale puissent aussi porter des grossesses. Les deux principaux contre-arguments examinés par la chercheuse sont que «ces dons ne permettent pas de sauver des vies et qu'ils peuvent réifier le corps reproducteur féminin».

L'intérêt et le bien d'une femme ainsi utilisée, quand bien même elle serait en état de mort cérébrale, sont considérés comme inexistants.

Ana-Luana Stoicea-Deram et Marie-Josèphe Devillers

Elle balaie ces objections. Le don ne serait pas toujours vital car des dons d'organes non vitaux (cornée, bras, utérus) sont déjà largement acceptés. Plus encore, le «don gestationnel de corps entier» aurait le mérite de permettre effectivement la création d'une vie nouvelle. Quant à la réification du corps reproductif des femmes, la chercheuse admet que dans le type de don qu'elle envisage, il s'agit tout simplement de l'utilisation du corps comme récipient pour le fœtus. Et pour atténuer d'éventuelles critiques féministes, elle suggère l'utilisation d'hommes en état de mort cérébrale ; car, même si le risque fatal est très élevé les concernant, cela n'a pas d'importance puisque «le gestateur est déjà mort». Réfuter ainsi ces maigres objections l'autorise à affirmer que le «don gestationnel de corps entier» serait un moyen simple pour une reproduction plus sûre, qui évite les problèmes moraux soulevés par la GPA.

La réflexion de Smajdor est pleine d'enseignements pour qui s'intéresse aux droits humains et aux droits des femmes. La philosophe dit engager une réflexion sur l'éthique de ce qu'elle présente comme un don, qu'elle compare avec le don d'organes. Or, elle fait le choix d'ignorer la «Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine» (Convention d'Oviédo), qui stipule que «l'intérêt et le bien de l'être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science». L'intérêt et le bien d'une femme ainsi utilisée, quand bien même elle serait en état de mort cérébrale, sont considérés comme inexistants, ou moins importants que ceux des personnes commanditaires.

Le terme de « don » laisse à croire que le corps entier d'une femme est donné, ce qui reviendrait à affirmer qu'il appartient (que la femme appartient) aux commanditaires.

Ana-Luana Stoicea-Deram et Marie-Josèphe Devillers

Quant à désigner le processus proposé comme «don gestationnel de corps entier», et à le comparer au don d'organes, ceci pose plusieurs problèmes. Dans le don d'organes, un organe est transféré du corps d'une personne dans celui d'une autre. Il l'est pour sauver une vie ou pour améliorer la santé ou la qualité de vie du receveur. Rien de tel dans un «don gestationnel». La formule est creuse et ne mène nulle part. La gestation est un processus qui se produit dans le corps d'animaux vivipares femelles ; les femmes portent des grossesses. En tant que processus physiologique, la gestation ne peut pas être donnée (ni cédée, ni transférée) ; tenter de le suggérer par une formule faussement métaphorique est intellectuellement malhonnête, surtout quand on demande des actions politiques significatives pour surmonter des problèmes moraux. Le don gestationnel non seulement n'existe pas, mais il ne peut exister. La gestation est un processus «à la fois biologique et biographique» (Sylviane Agacinski) ; il n'est pas détachable de celle qui le vit. D'ailleurs, les commanditaires d'enfants par GPA ne commandent pas une gestation, mais un enfant. Enfin, le terme de «don» laisse à croire que le corps entier d'une femme est donné, ce qui reviendrait à affirmer qu'il appartient (que la femme appartient) aux commanditaires – comme un œil donné appartient à la personne qui l'a reçu. Sauf qu'un être humain ne peut appartenir à un autre, si ce n'est en tant qu'esclave.

Le «don gestationnel de corps entier» dit aussi la hiérarchie des priorités de la philosophe et de ceux qui la publient. Les problèmes éthiques soulevés par la GPA doivent être escamotés ; alors que le désir d'enfant des personnes qui ne veulent ou ne peuvent porter de grossesse doit être satisfait à tout prix. Envisager de faire porter des grossesses à des hommes en état de mort cérébrale pour calmer les critiques féministes, plus susceptibles ainsi à accepter que des femmes soient utilisées comme mères «porteuses» est grotesque. Ce n'est pas parce qu'une abjection faite aux femmes, serait faite aussi à des hommes, qu'elle serait moins grave et inacceptable. Mais chercher par tous les moyens à légitimer la GPA est possible seulement parce qu'elle repose sur l'exploitation des femmes, déguisée par le patriarcat en don.

À VOIR AUSSI - Infertilité: «la PMA n'est pas une solution miracle»

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9 commentaires
  • Tartine

    le

    C’est RÉVOLTANT et INDIGNE !

  • Ariane Casner

    le

    Il n'est même pas fait mention du sentiment d'horreur qui envahirait immédiatement et définitivement l'enfant apprenant qu'il a ete porté par une morte...

  • Salluste10

    le

    C' est sordide!

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