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Des évangéliques européens s’organisent contre les abus

Entre formations et lignes d’écoute, les Églises mettent l’accent sur la sécurité et la prévention.
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Des évangéliques européens s’organisent contre les abus
Image: Sean Gallup / Getty

Lorsque Fabian Beck s’est porté volontaire pour un ministère auprès des enfants dans sa petite Église évangélique de la banlieue de Hanovre, en Allemagne, il s’imaginait chanter des chansons, raconter des histoires bibliques et présenter des spectacles de marionnettes.

Il n’avait aucune idée de la manière dont il était censé préserver les enfants de l’école du dimanche contre d’éventuelles agressions sexuelles. C’est en se préparant à rejoindre l’équipe en place qu’il est tombé sur des ressources fournies par la Fédération des églises évangéliques libres allemandes (FeG) sur le thème de la violence à l’encontre des enfants et des adolescents dans le contexte de communautés chrétiennes comme la sienne.

« Les croyants doivent se rendre à l’évidence : le fait que nos communautés sont remplies de chrétiens ne les rend pas automatiquement sûres », explique-t-il. « Les lieux sûrs pour les enfants n’apparaissent pas tout naturellement et, trop souvent, nous ne savons pas ce que nous ne savons pas. »

Andreas Schlüter, secrétaire fédéral de la FeG pour les jeunes générations, explique que le programme utilisé par Beck, « Schützen und Begleiten » (« Protéger et accompagner »), s’inscrit dans une tendance beaucoup plus large parmi les Églises libres qui s’organisent contre les abus. Les Églises évangéliques développent des programmes pour faire face à la réalité des agressions sexuelles et cherchent à empêcher qu’elles ne se produisent à l’avenir.

« Je sais qu’en Allemagne, toutes les Églises libres s’attaquent activement à ce problème », rapporte-t-il. « Les communautés évangéliques libres devraient être, ou devenir, des lieux sûrs pour les enfants et les jeunes. »

Ces dernières années, de nombreux cas d’agressions sexuelles contre des enfants ont été signalés dans plusieurs diocèses catholiques romains en Europe. Sous l’impulsion de ces révélations, les catholiques ont pris des mesures en France, au Portugal, en Allemagne et en Italie pour prévenir les abus. Le pape François, par exemple, a supprimé la couverture par le secret pontifical pour les cas de maltraitance de mineurs ou d’autres personnes vulnérables.

Myriam Letzel, coordinatrice de l’organisation évangélique française Stop Abus, estime que les enquêtes de fond menées par l’Église catholique en France sur les abus commis par des clercs (notamment le « Rapport Sauvé ») ont non seulement mis en évidence la nature systémique des violences sexuelles, mais ont également mis les évangéliques en garde contre les dynamiques au sein de leurs Églises qui pourraient conduire à des comportements inappropriés et illégaux. Les conversations autour de #ChurchToo et les révélations de nombreux abus chez les baptistes du Sud aux États-Unis ont également conduit les évangéliques européens à prendre conscience du fait que leurs Églises ne sont pas à l’abri.

« Nous devons nous interroger sur les fondements théologiques qui ont, par le passé, favorisé des comportements sexuels inappropriés : une mauvaise compréhension de la relation entre les hommes et les femmes et un rapport faussé à la sexualité », déclare Myriam Letzel.

Stop Abus a été lancé en septembre 2022 par le Conseil national des évangéliques de France (CNEF). Cet organe est géré par une commission de 10 experts dans les domaines du travail social, de la psychologie, de la médecine, du droit et de la pastorale. L’organisation dispose également d’un service d’écoute composé d’une équipe de 35 « écoutants » qui reçoivent les signalements d’abus. Au cours de ses six premiers mois d’existence, Stop Abus a été mis au courant de 15 cas qui sont en cours de traitement.

Selon Myriam Letzel, il ne s’agit que d’une première étape.

« Ce qui se passait ailleurs a servi d’avertissement : nous ne pouvions pas prétendre que de telles choses n’existaient pas dans les Églises protestantes évangéliques, et nous ne voulions surtout pas prétendre qu’elles n’existaient pas. » « La mission qui nous a été confiée par le Christ nous oblige : en tant que chrétiens, nous avons le devoir d’être exemplaires dans notre conduite et dans notre manière de prendre soin des plus vulnérables. »

C’est dans ce contexte que l'un des réseaux d'Églises membres du CNEF, le Réseau-FEF, a informé fin mars ses membres et partenaires qu'il ne pouvait plus « ni reconnaître ni soutenir un quelconque ministère » d'un pasteur ayant une certaine influence dans les milieux évangéliques francophones, en particulier en ligne. Le pasteur en question est accusé d'abus par six femmes, dont deux ont déposé plainte. Ce type de communication constitue une première pour les évangéliques français.

D’autres groupes évangéliques en Europe ont lancé des efforts similaires. En Suisse, sous l’égide de l’Alliance évangélique suisse, une soixantaine de groupes et d’organisations chrétiennes ont mis en place des normes pour le personnel et créé des équipes d’intervention en cas de crise, parallèlement aux programmes de prévention des Églises locales. Parmi ces organisations, la Fédération romande d’Eglises évangéliques (FREE) a mis en ligne diverses ressources pour aider à prévenir les abus, avec notamment une charte destinée aux moniteurs d’école du dimanche.

L’Alliance évangélique allemande (EAD) dispose depuis plusieurs années de mécanismes de prise en charge pour les cas d’agressions dans les communautés évangéliques en Allemagne. Pour équiper les Églises, elle se tourne notamment vers des groupes comme la Croix blanche (Weißes Kreuz), une organisation protestante qui conseille les institutions et les individus sur les questions liées à la sexualité. Ute Buth, gynécologue et conseillère sexuelle travaillant avec la Croix blanche depuis 15 ans, explique que la première tâche de l’organisation est d’aider les Églises à prendre conscience de la façon dont leur environnement peut constituer un terreau fertile pour les abus.

Elle estime qu’il n’existe pas de statistiques fiables sur la réalité des abus parmi les évangéliques d’Europe. Mais les protestants européens, y compris l’Église protestante nationale allemande, ont des préoccupations similaires concernant la violence sexuelle dans leurs communautés et ont créé un forum et des groupes de travail pour aborder la question en juin 2022.

Certains pensent cependant que les chrétiens évangéliques sont particulièrement vulnérables et qu’ils pourraient même attirer les prédateurs sexuels.

Christian Rommert, théologien public et ancien animateur de la populaire émission de télévision chrétienne Wort zum Sonntag (« Parole du dimanche »), a ainsi déclaré sur la plus grande radio publique allemande que l’accent mis par les Églises libres sur la confiance et l’obéissance, leurs contacts physiques étroits et leur morale sexuelle conservatrice créaient un environnement propice aux abus sexuels :

« Dans le contexte de l’Église libre, tout le monde fait confiance à tout le monde. Personne ne s’attend à ce que l’autre fasse quelque chose de mal. » « Le thème de la sexualité est encore quelque peu tabou dans le contexte ecclésial. Comme la peur y est associée, on ne peut pas en parler ouvertement. Et malheureusement, il y a aussi des Églises où l’on cultive le fossé du pouvoir entre les hommes et les femmes. Et ces disparités de pouvoir sont toujours des facteurs d’incertitude. »

Selon Ute Buth, l’opposition de certains évangéliques à travailler avec la Croix blanche sur les questions d’agressions sexuelles a toutefois diminué, car les gens sont devenus plus conscients de l’importance du problème et prêtent plus d’attention à la prévention. La Croix blanche ne porte pas d’accusations contre les Églises, mais propose des formations.

« Si l’on ne dispose pas d’une bonne stratégie dans ce domaine, certaines structures permettent que des enfants, voire des adultes, soient victimes d’abus », détaille la gynécologue. « C’est un lourd tribut pour la foi chrétienne. »

Elle guide d’abord les Églises dans une analyse des risques pour les aider à comprendre ce qui les rend vulnérables.

« Cela touche à l’atmosphère », explique-t-elle. « Favorisez-vous l’un ou l’autre genre ? Quelle manière de parler avez-vous ? Certains font-ils des blagues à caractère sexuel ? Votre leadership est-il très hiérarchique ? C’est là que les agresseurs commencent, en profitant de la culture et des coutumes qui ont déjà cours dans votre Église. »

À la fin de la formation, les communautés procèdent à une auto-analyse avant d’élaborer un nouveau plan de protection comprenant des lignes directrices en matière de sécurité et des mécanismes de signalement. Des lois allemandes adoptées en 2010 stipulent que toute organisation travaillant avec des enfants, y compris les Églises, doit mettre en place un plan de protection.

Le fait d’avoir un plan a d’ailleurs apaisé les craintes de Fabian Beck lorsqu’il est devenu pasteur auprès de l’enfance à Hanovre.

« C’est un grand soulagement d’avoir un système en place. » « À présent, notre Église est consciente du problème et nous savons ce qu’il faut faire. »

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[ This article is also available in English. See all of our French (Français) coverage. ]

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