Si l’atteinte par accident à la vie d’un enfant non encore né n’est pas un homicide involontaire, qu’est-ce donc ?

Publié le 28 Fév, 2023

Afin d’éclairer les enjeux juridiques de l’« affaire Pierre Palmade » (cf. Fœtus décédé suite à l’accident : Pierre Palmade poursuivi pour « homicide involontaire » ?), entretien avec Aude Mirkovic, maître de conférence en droit privé, porte-parole et directrice juridique de l’association Juristes pour l’Enfance.

 

Gènéthique : Que dit le droit de l’atteinte accidentelle à la vie d’un fœtus ?

Aude Mirkovic : Le Code pénal (article 221-6) réprime l’homicide involontaire, défini comme l’atteinte involontaire à la vie d’autrui. Or, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt de 2001 qu’un fœtus ne pouvait pas être considéré comme autrui au sens de la loi pénale (cf. Homicide sur le fœtus : la Cour de cassation dit « Non »). Cette interprétation du code pénal est tout à fait contestable et, d’ailleurs, plusieurs juridictions du fond [1] ont statué autrement.

Régulièrement, des juges font une résistance à la Cour de cassation. Ainsi en 2014, bien après la décision de la Cour de cassation de 2001, le tribunal de Tarbes a condamné l’auteur d’un accident de la route avec des conséquences similaires à celles de l’affaire Pierre Palmade (cf. Un fœtus victime d’un homicide involontaire : le Tribunal correctionnel de Tarbes retrouve le chemin du bon sens). Le Procureur avait fait appel pour se conformer à la jurisprudence de la Cour de cassation. L’auteur des faits qui ne voulait pourtant pas s’abriter derrière cette jurisprudence avait donc finalement été relaxé en appel.

L’article 221-6 du Code pénal incrimine l’atteinte involontaire à la vie d’autrui [2]. Tout le débat porte donc sur cet autrui. Est-ce que l’enfant non encore né est un autrui dont l’atteinte à la vie relève de l’homicide involontaire ? Il est évident que oui. Nous avons progressé depuis le temps des Romains où l’on considérait que l’enfant était une partie des entrailles de la mère… Aujourd’hui, avec l’échographie, et si besoin était la fécondation in vitro, on sait très bien que l’enfant à naître est un autrui. Il n’est pas un morceau du corps de sa mère. L’article du Code pénal réprimant l’atteinte involontaire à la vie d’autrui devrait donc s’appliquer.

G : Le droit est-il cohérent en matière de statut de l’enfant à naître ?

AM : Les parents de cet enfant décédé peuvent aujourd’hui le déclarer à l’état civil, obtenir un acte d’enfant sans vie, lui donner un prénom, et même un nom de famille depuis la loi du 6 décembre 2021 (cf. Le Parlement vote la possibilité de donner un nom de famille aux enfants nés sans vie). Ils vont pouvoir l’inhumer dans un cimetière et pourtant la jurisprudence considère que l’atteinte à sa vie n’est pas un homicide. On est en pleine contradiction.

Mais la contradiction ne s’arrête pas là : si un fœtus est blessé dans un accident de la route ou en raison d’une erreur médicale, s’il nait vivant et si, finalement, il finit par décéder de ses blessures, il y aura un homicide. S’il nait vivant et qu’il vit toute sa vie avec des séquelles de l’accident, il y a aura un délit d’atteinte involontaire à l’intégrité physique. En revanche, si cet enfant meurt sur le coup, il n’y a aucune qualification pénale selon la jurisprudence de la Cour de cassation. C’est aberrant : l’auteur d’un accident a intérêt à ce que l’enfant meure sur le coup. Dans ce cas il échappe à toute poursuite pénale.

G : Ces incohérences sont-elles en lien avec la législation en matière d’avortement ?

AM : En raison de l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse, il est pratiquement impossible de tenir des propos cohérents à propos des enfants non encore nés.

Pourtant, dans le cas présent, le fait que la loi permette l’IVG ne devrait pas être un frein à la reconnaissance de l’homicide involontaire. En effet, l’avortement est une exception au principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie. Comme toutes les exceptions, elle n’a pas vocation à être érigée en principe. En dehors du cas prévu pour l’IVG, le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie reprend ses droits et, d’ailleurs, l’interruption volontaire de grossesse contre la volonté de la mère est une infraction pénale. Pourquoi l’atteinte involontaire devrait-elle donc échapper à toute qualification pénale ?

Et pour finir avec l’incohérence, précisons que si l’accident avait blessé ou tué un chien, l’auteur de l’accident serait coupable d’avoir involontairement causé la mort ou la blessure d’un animal domestique, qui est une contravention punie par l’article R653-1 du code pénal. Mais, pour avoir entrainé la mort de l’enfant non encore né, il n’est passible d’aucune qualification pénale, selon la Cour de cassation. Je dis bien « selon la Cour de cassation » car, si on accepte d’appliquer le Code pénal, l’atteinte à la vie d’un enfant non encore né relève évidemment de l’homicide involontaire.

G : Cette affaire, très médiatique, pourrait-elle être une occasion d’une évolution du droit ?

AM : On peut espérer que cette affaire soit une occasion de retrouver le bon sens, et le droit. Cet enfant est un être humain. Il y a eu une atteinte involontaire à sa vie, c’est un homicide involontaire. Qu’est-ce que cela pourrait bien être d’autre ? Les faits sont finalement très clairs, mais la Cour de cassation n’arrive plus à dire les choses les plus sensées tellement les contradictions ont été « entassées » les unes sur les autres.

Ce drame pourrait donc être une occasion de faire progresser le droit. C’est possible. Plusieurs décisions de justice ont reconnu l’évidence, à savoir que l’atteinte involontaire à la vie d’un enfant à naître est un homicide involontaire. Il s’agit juste de reconnaitre la réalité. La Cour de cassation peut renoncer à sa jurisprudence contra legem et qui débouche en outre sur des incohérences scandaleuses.

Pour finir, précisions que les parents ont la possibilité de réclamer sur le plan civil l’indemnisation de leur préjudice : mais les parents ne veulent pas d’argent, ils veulent simplement que la vie et la mort de leur enfant ne soit pas niée. Dans l’affaire de Tarbes les parents n’avaient demandé aucun dommage et intérêt. Ils voulaient seulement que la réalité de la vie de leur enfant ne soit pas déniée par le droit. Ce qui venait ajouter une douleur à leur douleur.

Il ne reste plus à la justice que de dire le droit.

 

[1] Tribunaux correctionnels, Cours d’appel

[2] Elle se situe dans une partie du Code pénal intitulée Des atteintes à la personne humaine.

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Expert

Maître de conférence en droit privé, Porte-parole et Directrice juridique de l'association Juristes pour l'Enfance

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