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Projet de loi « immigration et intégration » : l’Afrique redoute un exode plus massif de ses médecins

Le gouvernement prévoit la création d’une carte de séjour spécifique qui concernera notamment les médecins étrangers quelle que soit leur spécialité. L’Afrique francophone est le deuxième pourvoyeur de praticiens étrangers en France.

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Publié le 01 février 2023 à 04h45, modifié le 01 février 2023 à 16h10

Temps de Lecture 4 min.

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La Dr. B., 39 ans, gynécologue obstétricienne algérienne et stagiaire associée au centre hospitalier de Soissons, vérifie le matériel avant une intervention au bloc opératoire, le 5 avril 2022.

Alors que le projet de loi « immigration et intégration » doit être présenté en conseil des ministres, mercredi 1er février, le débat est monté sur le volet qui prévoit la création d’une carte de séjour spécifique pour les métiers en tension, au premier rang desquels ceux de la santé. Destiné à « améliorer l’attractivité » de la France, ce nouveau titre de séjour « pluriannuel » d’une durée « maximale de treize mois renouvelable une fois » dénommé « talent-professions médicales et de pharmacie » concernera les médecins étrangers quelle que soit leur spécialité, les sages-femmes, les chirurgiens-dentistes et les pharmaciens. Il prévoit également d’abaisser le seuil de revenus exigé pour y prétendre.

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« Ne privons pas l’Afrique de ses médecins », titrait sans détour le 7 janvier une tribune signée d’André Grimaldi, Jean-Paul Vernant, Xavier Emmanuelli et Rony Brauman, publiée dans le Journal du dimanche (JDD). Respectivement professeur émérite de diabétologie ; professeur émérite d’hématologie et membre du comité des sages de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ; ancien secrétaire d’Etat et président de ce comité des sages ; cofondateur de Médecins sans frontières, les quatre personnalités demandaient au gouvernement de « retirer de son projet cette proposition (…) pour attirer les personnels médicaux » qui aura, selon eux, pour effet « de transférer nos déserts médicaux dans les pays issus de nos anciennes colonies ».

Après l’Union européenne (UE), l’Afrique francophone est en effet le premier pourvoyeur de l’Hexagone : Algérie, Maroc et Tunisie en tête, mais aussi Madagascar, Sénégal, Cameroun, Côte d’Ivoire, Bénin, République démocratique du Congo (RDC).

En 2022, selon le Conseil de l’ordre des médecins français (CNOM), les trois quarts des 2 000 praticiens à diplôme hors UE (Padhue) qui ont passé les épreuves de vérification des connaissances étaient originaires du Maghreb, et la moitié d’Algérie. Cinq mille de ces médecins sont encore en attente de validation de leurs compétences alors qu’ils exercent des fonctions d’internes dans l’hôpital public pour un salaire jusqu’à deux fois moindre. Au total, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) chiffrait à 25 000 le nombre de médecins nés à l’étranger qui exercent en France, soit 12 % du total d’inscrits à l’ordre. Un chiffre qui a été multiplié par trente en vingt ans.

« Précarisation »

Le Syndicat national des Padhue a rapidement déclaré sa perplexité sur l’effet « d’appel d’air » de cette nouvelle disposition, puisque beaucoup de ces praticiens sont binationaux et n’ont donc pas besoin de carte de séjour.

« Cet exode est largement invisibilisé dans les chiffres du CNOM, explique Francesca Sirna, sociologue spécialiste des migrations chargée de recherches au CNRS. La plupart des futurs médecins arrivent pour suivre une spécialisation ou faire un stage. Quant aux Padhue, le projet de loi ne leur propose rien de plus qu’une précarisation, sans aucune garantie pour la suite. Leur principal problème est la validation des compétences, qui est encore un véritable parcours du combattant malgré la réforme de 2020. »

La procédure d’autorisation d’exercice (PAE), bien que simplifiée, prend souvent plusieurs années. « On est en train de fabriquer de futurs médecins clandestins qui ne rentreront pas chez eux », s’indigne Mohamed Ghannem, un spécialiste d’origine tunisienne qui dirige l’unité de cardiologie du centre hospitalier de Gonesse (Val-d’Oise). Fin connaisseur du système français, il a créé en 1998 l’Amicale des médecins d’origine maghrébine de France qui a accompagné toutes les vagues « d’importation » de ces praticiens.

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Car l’attractivité de la France n’est pas nouvelle et s’inscrit dans un mouvement mondial des fuites des cerveaux du Sud vers le Nord, qui dépasse les professions médicales. Avec 16 % de médecins nés à l’étranger, elle est même en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, qui est à 25 %. Dans le service public britannique par exemple, plus d’un médecin sur trois vient d’Inde, du Nigeria ou d’Egypte.

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« La pandémie a montré que les médecins sont devenus indispensables au fonctionnement de nos hôpitaux, victimes d’une politique prolongée d’austérité », rappelle la tribune du JDD. « Au lieu de régler les problèmes de fond, ajoute Rony Brauman au « Monde Afrique », on se tourne vers ce réservoir potentiel en aggravant les pénuries structurelles dont souffre le continent. »

En témoigne la vitalité de la mobilité étudiante africaine dans les facultés et les services hospitaliers. Le nombre de visas accordés aux jeunes Africains en formation a bondi de 32,5 % pour la rentrée 2020-2021, ceux d’Afrique subsaharienne de 41 % sur cinq ans, selon l’agence Campus France. Et, d’après les chiffres provisoires, la hausse s’annonce encore plus forte en 2022. Malgré deux années de recul dû à la pandémie et à la hausse des frais d’inscription en 2018, les filières de santé, pharmacie comprise, ont progressé de 4 % en cinq ans. Et, selon l’OCDE, plus de la moitié des étudiants transforment l’essai en décrochant un contrat de travail à la fin de leurs études.

« Il faut traiter les vraies causes de l’exode »

« Ce que fait la France pour régler le problème de ses déserts médicaux n’arrange ni l’Algérie ni aucun pays pourvoyeur, explique Mohamed Yousfi, chef du service maladies infectieuses à l’hôpital Boufarik, entre Alger et Blida, et président du Syndicat national des praticiens spécialistes de santé publique. Si l’on ne fait rien, cette tendance va s’accélérer, comme pour le Maroc ou la Tunisie. Pourtant notre pays, contrairement à d’autres, plus pauvres, aurait les moyens de retenir cette élite. »

En Tunisie justement, l’exode a pris ces cinq dernières années des allures d’hémorragie. Les jeunes partent en masse, mais aussi les médecins installés depuis plusieurs années, et même des seniors. Le climat politique, social et économique, le délabrement de l’hôpital public poussent à l’exil. « La France n’a pas su former suffisamment de médecins pour son propre territoire et siphonne nos praticiens en les payant moins à compétences égales, tranche Moncef Belhaj Yahia, qui préside l’Association tunisienne du droit à la santé créée après la révolution de 2011. Mais cette loi n’est que le symptôme d’un mal plus profond. Il faut traiter les vraies causes de l’exode. »

Considération, salaires, pénuries de matériels, de médicaments, le quotidien de cette « armée blanche » a viré à la médecine d’urgence. En 2021, l’Ordre des médecins tunisien a enregistré 970 départs, contre 500 à 600 habituellement. « Un chiffre probablement sous-évalué. La Tunisie forme environ un millier de médecins par an. Il y aura donc bientôt plus de médecins qui partent que de médecins formés, se désole le retraité. Les rémunérations et les conditions de travail sont déplorables. Même le secteur privé commence à se dégrader. »

Il y a donc urgence pour les Etats du continent, qui ne dépensent en moyenne que 5,8 % de leur produit intérieur brut pour la santé, à investir massivement dans l’amélioration de leur système, dont les défaillances ont été mises à nu par la crise sanitaire.

« La question du salaire, même si elle est cruciale, ne fait pas tout. Les talents qu’on a ici sont en quête de meilleures conditions pour exercer leur art, témoigne Daniel Mabongo, président du Syndicat des médecins du Cameroun, qui voit s’exiler chaque année un tiers de ses spécialistes. Un métier qui, ne l’oublions pas, est d’abord une vocation. » 

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