Au décor embourgeoisé des salons de l’Interallié, à deux pas de l’Élysée, aura été préféré cette année le cadre futuriste de la Station F (Paris 13e), « Silicon Valley » à la française devenue le plus gros incubateur de start-up au monde. Un lieu hautement symbolique pour marquer l’ambition des protestants français d’être tournés vers l’avenir, alors que le Cercle Charles Gide (1) a choisi d’y organiser, ce lundi 28 novembre, la deuxième édition de son grand dîner annuel, axé sur le thème des « jeunes (…) engagés pour le bien commun ».

Parmi les 450 convives de l’événement philanthropique sont ainsi attendus 200 invités chrétiens âgés de 20 à 45 ans (luthéro-réformés et évangéliques de toute la France), œuvrant dans des domaines très divers : écologie, éducation, santé, monde de l’entreprise… « Nous avons voulu mettre en avant cette génération qui nous frappe par son sens de l’engagement au service de la société, là où celle qui les précède a davantage pu se tourner vers des carrières personnelles », explique l’homme d’affaires Xavier Moreno, cofondateur du fonds d’investissement Astorg et président du Cercle Charles Gide.

« Nouveaux réseaux »

Dans un pays où le protestantisme représente près de 3 % de la population, « l’un des grands objectifs de ce dîner est de contribuer à la prise de conscience par les protestants de ce qu’ils représentent dans la société », poursuit-il. « On sent clairement une volonté de fédérer de nouveaux réseaux d’influence parmi ceux qui incarnentla relève”, décrypte un pasteur parisien convié. C’est une initiative très louable, dans la mesure où il n’existe par ailleurs que peu d’espaces d’échanges et de rencontres pour cette génération, en dehors de leurs Églises ou Unions d’Église… »

« Réseaux d’influence » ? Certains nuancent, de peur d’être assimilés aux lobbys évangéliques conservateurs des États-Unis ou du Brésil. «Nous l’entendons vraiment comme une invitation à avoir une influence positive, et aimante, dans toutes les sphères de la société », estime le pasteur baptiste Erwan Cloarec, président depuis juin du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), qui regroupe plus de 70 % des Églises évangéliques constituées en unions d’Églises dans l’Hexagone.

« On voit encore cette volonté de créer de nouveaux réseaux au casting de la soirée qui brasse très large, et au fait que des représentants des pouvoirs publics sont à nouveau invités », relève une jeune participante. Cette année, Emmanuel Macron et la première ministre Élisabeth Borne ont ainsi été conviés – mais n’ont pas confirmé leur présence. L’an dernier, le chef de l’État était venu accompagné du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. La soirée avait été l’occasion d’engager un échange nourri entre la diversité protestante et le président sur des sujets variés : laïcité, accueil des migrants, projet de loi séparatisme…

« Valeurs à refléter »

Spécialiste du protestantisme, le sociologue Jean-Paul Willaime observe un changement de « configuration » dans la manière qu’ont les protestants de manifester leur présence : « Réputé pour sa discrétion, le protestantisme se manifestait, jusque dans les années 1970, par une stratégied’enfouissementdans la société. Dans sa grande diversité et sous l’influence des évangéliques, il évolue vers la libre affirmation de son identité dans les débats généraux et les enjeux sociétaux marquant notre époque. Cela passe par le témoignage d’hommes et de femmes qui ne veulent pas forcément convertir les autres à leurs vues, mais porter une voix marquée par leur ancrage convictionnel protestant ».

Au-delà de leurs différences de sensibilités, quel message ces jeunes veulent-ils faire passer ? « Celui que les responsabilités individuelles doivent prendre sens et force dans l’action collective », répond un invité, Olivier Paccalin, 35 ans, membre de l’Église protestante unie de France (EPUdF) et président cofondateur de LesitedumadeinFrance, moteur de recherche de produits fabriqués dans l’Hexagone. « Il ne s’agit pas nécessairement de parler frontalement de Jésus, abonde Isabelle Vandeventer, 23 ans, infirmière au Samu social et membre de l’Église évangélique Martin-Luther-King à Créteil (Val-de-Marne), mais de manifester notre foi, parfois subtilement, au quotidien dans les valeurs que nous voulons refléter. »

(1) Association de protestants plaidant pour une économie responsable.