Patriotisme ou nationalisme ? Dans les premières décennies post-1945, les préférences chrétiennes penchaient pour le patriotisme, attachement à la patrie d’appartenance. Quant au nationalisme, il était soupçonné de faire passer la dévotion pour l’intérêt national avant les valeurs universelles, au risque de la guerre. Au sein du monde protestant états-unien, tout indique aujourd’hui un renversement de perspective. Une mutation qui s’inscrit dans le contexte, bien plus large, de la montée des nationalismes religieux : hindouisme en Inde, bouddhisme en Birmanie, islam en Turquie.

Jadis douteux, l’amour préférentiel pour la nation est désormais devenu tendance. Mieux : aux yeux d’un nombre croissant d’Américains, il est devenu un marqueur identitaire. Une enquête du Pew Research Center révélait ainsi, le 27 octobre, que pas moins de 45 % des Américains interrogés estiment que les États-Unis devraient être une « nation chrétienne »… et une moitié d’entre eux considère qu’en matière juridique, s’il y a conflit, la Bible devrait prévaloir sur la volonté populaire.

Depuis 2010, on ne compte plus les publications, émissions, podcasts qui vantent outre-Atlantique les vertus d’une foi nationaliste. Dopée par le phénomène « Make America Great Again », la vogue s’est confirmée lors des élections de mi-mandat 2022, même si la droite trumpiste n’a pas réalisé tous les résultats espérés. Aujourd’hui, le livre le plus en vue en faveur du nationalisme chrétien aux États-Unis est signé Stephen Wolfe. Sorti le 1er novembre, il a fait l’effet d’une bombe. Dans les milieux nationalistes et religieux, ce plaidoyer est considéré, depuis sa parution, comme la référence ultime. En 488 pages rondement menées, l’auteur se fait le héraut de « la cause du nationalisme chrétien » (1).

L’auteur développe une réflexion fouillée nourrie d’histoire, de théologie et de théorie politique. Son intention est double. Il s’agit d’abord de se démarquer d’un nationalisme séculier à vernis religieux, nouveau « veau d’or » de la droite chrétienne. L’objectif est ensuite de légitimer un robuste nationalisme chrétien, promu comme juste et réaliste. Wolfe, presbytérien, prend certes soin d’affirmer son attachement à la diversité des options et des cultures. Mais c’est pour mieux, ensuite, plaider la rupture avec une forme de globalisme, de « wokisme » et de mixité. Le mélange des identités ? Très peu pour lui. Apprécié par de larges segments des milieux WASP (acronyme pour « Blanc, anglo-saxon et protestant »), ce répertoire entend concilier tradition chrétienne, plutôt calviniste, modernité républicaine et nationalisme.

La logique objective de cette rhétorique est pourtant différente des intentions professées. Cette apologie du nationalisme chrétien revient en effet à renforcer les barrières ethniques et culturelles, à l’heure où la polarisation sociale demanderait au contraire plus de rencontres. Elle contredit également un des fondements du christianisme, à savoir le primat d’une fraternité universelle sur la préférence nationale. Comme si l’on remplaçait le verset « ni juif, ni grec, ni esclave ni maître, ni homme, ni femme » (cf. Ga 3, 28) par « America first ».

(1) Stephen Wolfe, The Case of Christian Nationalism, Canon Press, 2022.